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Les coulisses de No Mammo ou comment (presque) dégouter un auteur

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Le processus d’écriture de No Mammo ? s’est étalé sur trois ans, de 2007 à 2010, et sur deux océans, de Rangiroa aux Cévennes. L’insistance d’un gynéco de Papeete à me faire passer une mammo m’a tant intriguée que je me suis plongée dans les recherches. L’écriture elle-même fut déclenchée par le choc sismique causé par la lecture du roman-photo La Lettre, œuvre de l’INCa, fleuron de son dispositif de sensibilisation au dépistage du cancer du sein. Vite vite, je cherche s’il existe l’équivalent pour le dosage PSA chez les hommes, curieuse de voir ce que ça aurait pu donner. Cruelle déception. La pédagogie par le roman-photo semblait définitivement réservée aux femmes. Mais que faisaient les féministes ? Ce n’était pas possible : il fallait faire quelque chose. On ne pouvait laisser les femmes être prises pour des connes à ce point (tout autre qualificatif serait un euphémisme).

Il y eut deux fournées de quatre envois chacune. Le premier jet était beaucoup trop long (plus long encore que No Mammo ?, c’est dire) et un soupçon trop académique. Il fut retravaillé et renvoyé à quatre autres éditeurs. Quarante huit heures après réception, Max Milo me fait savoir qu’il est intéressé. Pourquoi ai-je envoyé à Max Milo parmi d’autres ? Bonne question. J’avais aimé leur slogan « Provoquer à juste titre ». Alors à l’étranger pour trois mois, nous convenons d’un rendez-vous à mon retour en mars.

Première fausse note : Max Milo veut un médecin en co-auteur. J’apprends que, n’étant pas médecin, je ne suis pas une « personne autorisée » à parler d’une procédure médicale. Aïe : ça commençait mal. L’idée du livre était justement d’inciter les femmes à décider par elles-mêmes concernant leur participation au dépistage (pour peu que l’info suive) sans prendre forcément pour argent comptant ce que disait papa-doc ou maman-INCa. Je refuse donc, préférant prendre le risque de voir s’envoler le seul éditeur alors à ma portée plutôt que d’envoyer un message incohérent. Avec un médecin en chaperon, mon propos perdait toute crédibilité. Ça passe. Je cède sur la préface : ce sera un médecin là où j’aurais davantage vue une féministe. Commence le siège de Marc Girard dont le très beau « Brutalisation du corps féminin dans la médecine moderne[1] » m’avait emballée.

Mars 2011 : je passe chez Max Milo. Dans le bureau, trois personnes : le gérant, le directeur éditorial, et la correctrice. Mes seins m’appartiennent est le nouveau titre attribué au manuscrit (mon titre provisoire était Mammo Business). Il ne me déplait pas. J’apprends également que le manuscrit est encore trop long et que la correctrice se chargera de le raccourcir. Emportée par un stupide élan de naïveté, je m’entends déclamer : « Je lui fais entièrement confiance ».

Le contrat est reçu sous peu. Surprise des faibles pourcentages (8% du prix du livre) accordés aux auteurs – ne fournissons-nous pas le contenu après tout ?-,  je me renseigne. C’est ce qui se pratique parait-il. D’autre part, ayant entendu dire qu’éditeurs et auteurs étaient sur le point de parvenir à un accord sur l’édition numérique, sur les conseils du service juridique de la SCAM[2], je fais préciser sur le contrat que la rétribution des droits d’auteurs pour ce format se calquera sur ces accords. Lorsque je demande une avance à la signature du contrat, elle m’est refusée : « la maison d’édition est trop petite pour se le permettre ».

Fin avril arrive le manuscrit à corriger. Les coupes ne sont pas très heureuses, ce qui peut se comprendre lorsque l’on ne possède pas le sujet. Je m’en charge donc en 48h marathoniennes en supprimant des chapitres entiers pour rentrer dans le cadre imposé. Mais le plus déroutant à mon sens fut que la correctrice corrigeait le fond tout autant que la forme, ce qui devenait extrêmement risqué lorsque l’on abordait la partie médicale. Pleinement consciente qu’on ne me laisserait rien passer, chaque mot avait été pesé. Les modifications intempestives sont dès lors catastrophiques et conduisent facilement au contresens. Pour éviter une répétition, par exemple, « Mammographie anormale» est remplacée par « cancer », traduisant magnifiquement la perception en cours, que tout l’ouvrage s’évertuait à dénoncer comme erronée. Il arrive qu’un contresens, pourtant corrigé par mes soins, soit remis en place. Je dois argumenter et justifier sans cesse ma préférence pour le terme originel. Ce sont des allers-retours incessants d’épreuves. Epuisant. Ailleurs, ce sont des passages qui sautent sans que leur disparition n’apparaisse dans le suivi de modifications, ce qui revient à faire des coupes sans m’en avertir. Rien n’arrête la correctrice, pas même les guillemets. J’en suis réduite à énoncer des évidences : « Ce sont des citations, des citations… ». « Transformator », tel sera bientôt son surnom, dérisoire tentative d’introduire un peu d’humour dans une situation qui n’avait rien de drôle. Lorsque je tente de tempérer les ardeurs transformatrices de la correctrice, je me fais vertement rabrouer par le directeur éditorial : « C’est curieux. Cela n’arrive qu’avec vous. Je mettrais cela sur le compte de l’angoisse du premier ouvrage ». Elégant. Les délais sont serrés. Ces mois de mai et juin 2011 sont un calvaire. Le printemps cévenol explose à l’extérieur. Je reste cloitrée à corriger la correctrice…

Entretemps, le long siège de Marc Girard finit par porter ses fruits. Il écrit une superbe préface que je reçois comme un cadeau[3]. Je suis enthousiaste. L’éditeur beaucoup moins : il veut la transformer en postface. Je ne comprends pas. On me répond :

Vous voulez plomber les ventes de votre livre en mettant en introduction un
texte très subjectif et difficile, brassant de grandes idées sur le monde
comme il va et d’où il vient, que vos lectrices, à 80% des lectrices de
magazine féminin qui attendent un livre clair et pratique (que vous avez
écrit) sur le dépistage du cancer du sein ne comprendront pas ?
Allons, cela n’a aucune importance… C’est tout naturel que ce texte soit
en postface, car il propose un prolongement généralisant aux lecteurs les
plus acharnés.

J’ai beaucoup aimé le « Allons, cela n’a aucune importance… » Quant aux femmes, le message est clair : elles ne peuvent comprendre Marc Girard. Déjà rétrogradé en postface, le texte de Girard finira par être refusé tout à fait par l’éditeur. Il contient le mot « nichon », trop vulgaire à son goût. Il est des attitudes infiniment plus vulgaires. Lorsque j’insiste pour garder Girard, il m’est répondu « Chère Rachel, je crois que vous faites une fixette, respirez ». Tout juste si je ne suis pas traitée d’hystérique comme au bon vieux temps de tonton Sigmund. Je me suis souvent demandée par quelle ironie du sort m’était imposée, afin de voir publier un bouquin qui se voulait féministe, l’épreuve consistant à supporter les propos sexistes de l’éditeur.

Exit Marc Girard. La communication n’étant pas le point fort de Max Milo, j’apprendrais par Françoise Junod qu’il a été demandé à son mari (le Dr Bernard Junod) de se charger de la préface. Il aura l’immense mérite de l’écrire en temps record dans des conditions pour le moins difficiles.

J’en suis de plus en plus réduite à regarder passer les trains. Pas mon mot à dire non plus pour le titre. Mes seins m’appartiennent, qui avait pris la suite de Mammo Business, ne convient déjà plus, jugé trop féministe. Le choix de Max Milo se porte alors sur No Mammo, clin d’œil à No Logo de Naomi Klein. Y a-t-il des personnes dans la salle qui ont fait le rapprochement ? Titre très mal adapté à mon sens pour un bouquin défendant le principe du choix. Remplacer « Mammo » – le mot d’ordre en cours – par « No Mammo » revenait à remplacer une directive par une autre, un paternalisme par un autre. On tombait dans le même piège qui consistait à dire aux femmes quoi faire plutôt que de les informer et les laisser décider par elles-mêmes. Que les choses soient claires : mon sentiment est que dans l’état actuel de nos connaissances, il ne devrait plus y avoir d’Octobres roses, pas plus que de dépistage systématique. Cette précision apportée, si une femme souhaite passer une mammo à titre individuel après avoir compris ce que cela impliquait (beaucoup d’eau passera sous les ponts avant que toutes les femmes comprennent ces implications-là), je ne vois pas en vertu de quoi on l’en empêcherait. D’autre part, No Mammo allait être très lourd à porter (il le serait déjà un peu moins aujourd’hui) et en braquer plus d’une. Ça n’a pas loupé. J’eus beau implorer, expliquer que j’allais au casse-pipe avec un tel titre, rien n’y fit. En désespoir de cause, je propose Mammo ou pas ? Enquête sur le dépistage du cancer du sein. Niet : No Mammo ce sera. Un point d’interrogation sera rajouté in extremis. Maigre consolation : le principe du choix est respecté mais il limite à peine les dégâts. Oublié les trois quarts du temps à l’écrit, il est imprononçable à l’oral. Dans les interviews, je passe mon temps à reprendre les journalistes : « Avec un point d’interrogation… » D’un pratique… Je n’ai pas fini de corriger les malentendus engendrés par un tel titre. Un immense gâchis. Merci Max Milo.

Corrections sur Word achevées et dégâts limités, j’ose espérer que le pire est passé. Espoirs vite déçus à la lecture des épreuves en pdf. Des fautes d’orthographe persistent. Pire, des petites nouvelles se sont invitées. De nouveaux passages sont passés à la trappe. Quand je fais part de ma surprise devant la persistance des fautes, on me répond que la dernière correction à été sous-traitée à une boite et que si leur travail ne me convenait pas, je n’avais qu’à m’adresser à eux directement. Nous sommes fin juillet. Le directeur éditorial est en vacances ainsi que la correctrice. J’ai compris : on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Nous discuterons plus tard des responsabilités respectives, pour l’heure, seul m’importe le bouquin : que la forme sous laquelle il va paraître ne décrédibilise pas trop le fond. Une libraire et une prof de français de mes amies sont recrutées. Nous travaillons d’arrache-pied. Je me rajoute en bonus la correction des nombres qui ont tous été écrits en toutes lettres, y compris dans les articles scientifiques. C’est dans ce contexte que, le 7 aout, deux mails du directeur éditorial s’affichent dans ma messagerie :

« Chere Rachel

message de Russie – on m’a transmis vos plaintes sur la correction – d’habitude tout se passe bien – seriez-vous en train d’entrer dans la categorie redoutable des auteurs problematiques ? d’abord ******** [prénom de la correctrice], puis ceci, puis cela : cela n’arrive pas avec les autres auteurs, meme experimentes…

tout va donc si mal ? quelle deveine !»

Et le deuxième, qui, de toute évidence, ne m’était pas destiné :

«  salut *******[prénom de la remplaçante de la correctrice] ne te laisse pas faire par Rachel c’est une chieuse »

La goutte d’eau… Le lendemain (nous étions dimanche), j’expédie un courrier avec AR demandant la rupture du contrat à l’amiable. Deux jours plus tard, message surpris du gérant sur mon répondeur « Je ne vois pas où est le problème. Pouvez-vous me rappeler le plus tôt possible ? » Serait-il à ce point naturel de qualifier les auteurs de « chieurs » chez Max Milo ?

Le directeur éditorial est apparemment sommé d’intervenir pour me repêcher. Il m’appelle de Russie. Son ton a changé. Ce grand écart par rapport au naturel n’est motivé que par la crainte de voir un auteur filer dans la nature, j’en suis bien consciente; tout comme je le suis d’être déjà face à un non-choix. Max Milo ne me laissera pas partir à l’amiable et nul autre éditeur ne pourra éditer l’ouvrage tant que les droits ne seront pas libres. D’autre part, s’embarquer dans un procès à ce stade aurait saboté toutes les chances de publication avant le prochain Octobre rose. Le livre est pris en otage, et moi avec. Je signe donc pour la dernière ligne droite avec Max Milo pour le meilleur et pour le pire, espérant sans trop y croire avoir à présent épuisé tout le registre du pire.

A la publication, tout se passe à peu près normalement. La promotion est prise en charge par la responsable du service de presse, avec qui je m’entends bien et qui, je dois avouer, fait du bon boulot. Je me déplace trois fois sur Paris pour promouvoir No Mammo ?. Une première fois à sa sortie en librairie pour différentes interviews radio et presse, une deuxième peu de temps après pour le JT de FR3, et enfin une troisième en novembre, pour une intervention lors de l’AG du Formindep[4] couplée à une interview sur Radio Libertaire. Max Milo refusera de me rembourser ce troisième déplacement sous prétexte que ces contacts-là ne venaient pas d’eux, mais de moi. Précisons que je me suis toujours débrouillée pour loger chez des amis pour ne pas leur rajouter des frais d’hôtel. Très juste financièrement, je dois demander au Formindep de me payer le billet de train. J’ai honte pour moi et pour Max Milo alors que le Formindep avait fait une pub d’enfer au livre sous la plume de Thierry Gourgues. D’autre part, c’est lors de cette AG que je rencontrerais Dominique Dupagne, administrateur d’atoute.org, un des sites médicaux les plus visités. Il viendra me trouver après mon intervention pour me proposer de parler de No Mammo ? sur son site. Suite au billet de Philippe Nicot qui en fera une excellente critique sur atoute, le livre sera pour un temps en troisième position dans la rubrique cancer sur Amazon. C’était l’« effet atoute ». Mais allez expliquer ça à Max Milo…

Mes contacts avec l’éditeur se sont ensuite distendus. Je découvre un beau jour en surfant sur Amazon que le livre existe en version numérique. Fin avril 2012, n’ayant toujours aucun relevé pour l’année 2011, je me renseigne quand même. Il m’est répondu que le bilan est négatif. Négatif ? Comment peut-on « dévendre » des livres ? Il ne peut s’en être vendu moins que zéro. Je questionne et requestionne. On finit par m’envoyer le bilan au 31 décembre 2011, auquel on avait défalqué des « frais de mise en page à la charge de l’auteur », ce qui, effectivement, rendait ledit bilan négatif : je devais même de l’argent à Max Milo. Je demande la facture de ce qu’on me défalque, d’abord par email, puis par courrier avec AR, sans résultats. Un avocat est hors budget à cette époque : il m’est impossible de donner suite. Mai 2013 : aucun droit d’auteur perçu à ce jour, aucun relevé de droits pour l’année 2012. Ma situation financière s’étant améliorée (j’ai vendu ma maison), je contacte un avocat, conseillé par un sympathisant. Son courrier part le 13 mai. Les jours passent, puis les semaines. Pas de réactions de la part de Max Milo. Fin juin, je demande une dernière fois des nouvelles à mon avocat : « Non, toujours rien. Ils sont vraiment de mauvaise foi. » « Je sais Maître, c’est bien pour cela que j’ai fait appel à un avocat », ai-je pensé très fort. Mais déjà le dégout me rendait muette. 598 € TTC la confirmation de mauvaise foi.

C’était tout. Même un avocat n’avait rien pu faire. J’en perdis le goût d’écrire. Et ce Goliath en face de nous me paraissait enfler. Toute cette énergie dépensée ne l’était-elle pas en pure perte ? Quand certains médecins bien-pensants en sont venus à qualifier la double amputation préventive d’Angelina Jolie de « leçon de vie », il m’a semblé que ça y était : nous avions fini par atteindre les antipodes du bon sens. Je n’avais plus qu’à partir aux antipodes justement, vérifier si le bon sens s’y trouvait toujours. La maison que je gardais allait être occupée par ses propriétaires. Tout me poussait vers un départ. Ce sera le Costa Rica pendant trois mois comme bénévole dans une association de protection des tortues marines. Les patrouilles de nuit à suivre les traces des tortues venues pondre, la collecte des œufs pour les mettre à l’abri des hueveros (les trafiquants), les tours de garde à la nurserie collée la forêt primaire, tout cela vous récure proprement l’esprit. Je rentre en France courant septembre avec la ferme intention de repartir dès que possible. Un possible vite séquestré par l’administration française, le statut de SDF transformant un simple renouvellement de passeport en entreprise kafkaienne. Entretemps, Octobre rose peut bien passer et déverser son lot d’inepties, je m’en fiche comme de ma première prescription mammo. La digestion des couleuvres est incomplète. Réservation est prise sur le Paris-Bogota du 20 novembre.

Le 6, je change de maison. La voiture déchargée, je tire un fauteuil sur la terrasse. Il fait beau. Un pot de cactus dans la niche du mur fait un tableau parfait. Un chat sorti de nulle part saute sur les dalles, puis sur mes genoux. Le soleil me cuit les joues, le chat ronronne sous ma main. Je ferme les yeux. Un diable passe. Quand je les ouvre à nouveau, le programme a changé : j’allais rester et écrire cette suite à No Mammo ? qui fermentait déjà. Cette paix allait s’avérer indispensable pour la suite que je présageais tumultueuse. Le 8, j’annule ma résa sur le Paris-Bogota. Comme quoi la sérénité d’un seul instant peut vous faucher sans crier gare et vous faire faire n’importe quoi.

Doucement, très doucement, le processus de réadaptation démarre. A petites doses d’abord. Après cinq mois d’abstinence totale sans toucher à une goutte de rose, comment mon organisme allait-il réagir ? Quand je fus en mesure d’ouvrir le Marie-Claire du mois d’octobre sans faire le moindre œdème de Quincke ni la plus petite poussée érythémateuse, je sus que c’était gagné : j’allais pouvoir retravailler sur le sujet. Il allait falloir rattraper le temps perdu. J’arpente la blogosphère et découvre des blogs de survivantes (appel d’offre pour un autre terme) à qui « le rose ne va pas au teint[5] » : le nouveau blog de Martine, celui de la crabahuteuse, celui de Manuela, et d’autres que j’oublie… C’est insolent, ça refuse de jouer le rôle qui va avec l’étiquette, ça tape du poing sur la table alors qu’on attend d’elles qu’elles restent dignes et sourient, bref c’est formidablement vivant. Mais surtout, surtout, ça accepte le dialogue et donne une autre réplique que la sempiternelle « T’es pas cancéreuse, alors ta gueule », et ça s’en va sans complexe enrichir les débats sur les blogs du médecin du 16 , de MG, sur Atoute, et, en dépit de mon silence radio, sur ce blog-même. Elles ont su s’y prendre, les filoutes, pour me faire rempiler. Ça ruait dans les brancards avec une belle énergie, et cette énergie était contagieuse. Merci à elles.

C’est lors de l’une de ces explorations de la blogosphère que, le 11 novembre, je découvre en remontant les commentaires du très éclairant billet de Philippe Nicot sur les conflits d’intérêts posté sur Atoute, celui de CMT[6], qui vient d’évoquer No Mammo ? et qui écrit : « Malheureusement, son éditeur Max Milo (qui était aussi le mien) a fait faillite ». Gasp. Le lendemain, j’appelle la SCAM qui précise : les éditions Max Milo ne sont pas en liquidation, mais en redressement judicaire depuis le 17 janvier 2013. On m’incite à constituer au plus vite un dossier pour faire valoir mes droits. Cela ne finira donc jamais : photocopie des pièces, lettre, envoi avec AR. En pure perte probablement. Et comment faire une déclaration de créances quand on ignore le nombre d’ouvrages vendus depuis décembre 2011 ? Sans compter que toute cette énergie perdue à tenter de faire valoir ses droits pourrait être utilisée de façon tellement plus créative : du temps volé au bouquin à venir. Le lendemain, la SCAM m’envoie un article consacré à Max Milo daté du 12 février 2013 visible le site www.actualitte.com. Eclairant. Je me sens moins seule. Le journaliste écrit :

« … durant toute l’année 2012, celle-ci [une auteure non citée] est restée dans l’ignorance la plus totale, n’ayant reçu aucune reddition de comptes, ses courriers et emails restant lettre morte. […] «La maison avait eu néanmoins le culot de me demander fin 2011, début 2012, d’écrire un nouveau livre pour eux, sur un autre sujet nécessitant également une enquête, alors qu’ils ne m’avaient toujours pas versé quoi que ce soit pour mon premier livre paru chez eux », reprend l’auteure, écœurée par les manières de l’éditeur. »

Le gérant déclare, suave : « Je croyais les [en parlant des auteurs] avoir tous appelés, et les avoir prévenus [de la mise en redressement judicaire]. Mais peut-être en avons-nous manqué quelques-uns.». Oui effectivement, quelques un(e)s ont été manqués… Le journaliste poursuit : « Pourtant, quelques problèmes continuent de se poser : dans la reddition de comptes, un auteur nous assure qu’il n’a pas trouvé la ligne concernant les livres numériques – et que l’éditeur ne l’avait jamais averti de la commercialisation des fichiers. « Une politesse minimum, tout de même… » »

Je confirme : un maximum d’auteurs n’ont pas eu droit à cette « politesse minimum ». Et s’il n’y avait que les auteurs… Dans les commentaires, je relève le témoignage suivant :

« Je suis sous-traitant pour cette société depuis plusieurs années. J’ai survécu à un premier redressement judiciaire, puis à un deuxième. Un éternel recommencement. Il vient de me signifier qu’il ne souhaite pas régler ses factures…motif ? Redressement judiciaire ! La belle affaire ! Visiblement il n’est jamais inquiété ? »

Visiblement non.

Quelques jours plus tard, c’est CMT qui me fait suivre deux liens. Le premier renvoie vers un article daté du 13 février 2010 d’une auteure flouée par les éditions Michalon. Le rapport avec Max Milo ? Il arrive à grands pas :

« Michalon, piège à « cons »

Les éditions Michalon ont été mises en redressement judiciaire en 2009 ; montant de leurs dettes, qui ne seront jamais payées : près de deux millions d’euros. C’est beaucoup pour tous les imprimeurs, graphistes, correcteurs, auteurs laissés sur le bord de la route. S’étant débarrassé de leurs dettes comme d’une crotte en fermant boutique, les éditions sont réapparues début 2010 sous le nom de « Michalon éditions ». Un peu comme certains magasins de matériel informatique, qui font faillite et ré-ouvrent deux rues plus loin… Coucou les revoilou : voguant à présent sous pavillon Max Milo, qui l’a repris pour une bouchée de pain, Michalon continue à publier. On se croirait dans un roman de Balzac, mais c’est juste une péripétie du grand roman de l’édition en France, qui n’est pas un long fleuve tranquille. »

Avec Max Milo en redressement judiciaire, l’histoire semble se répéter. Après « Michalon, piège à cons », aurions-nous « Max Milo, piège à gogos » ?

Le deuxième lien quant à lui renvoie à un article daté du 5 octobre dernier sur le site d’Enquêtes et débats, qui nous dit :

« Max Milo a eu chaud, mais après un redressement judiciaire en janvier 2013 la maison est sortie de la zone rouge et se porte mieux […] Les choses allaient si bien que Jean-Charles Gérard [le gérant] décida en 2011 de racheter Michalon, une maison qui venait de faire faillite justement. Il l’a depuis revendue, et il regrette l’achat initial […] Le redressement judiciaire de Max Milo début 2013 n’a pas grand chose à voir avec les résultats de la maison, mais avec un montage financier et la gestion de la trésorerie. Le fonds est solide, et la maison repart aujourd’hui sur de bonnes bases »

Et Max Milo qui continue d’embobiner son monde sur l’air de « Tout va très bien Madame La Marquise »…  pour mieux attirer d’autres gogos ? Puisque tout va si bien, pourquoi auteurs et prestataires de services ne sont-ils pas payés ?

Quand on parle du loup… le 21 novembre, je reçois un mail du commercial de Max Milo :

« Chère Madame,
Je vous contacte au sujet de votre ouvrage en objet de ce message.
En raison du coût de stockage de notre catalogue chez notre distributeur, nous avons été amené à considérer un diminution de celui-ci. Aussi, je souhaitais savoir si vous pourriez être intéressé par acheter des exemplaires avec une remise particulière de 70%.
Je me tiens à votre disposition pour en parler.
Dans l’attente de votre retour, je vous adresse, chère Madame, mes très sincères salutations. »

Qu’on se le dise ! Il y a braderie chez Max Milo : les auteurs peuvent à présent racheter leurs propres livres pour lesquels ils n’ont jamais touché de droits d’auteur à prix soldés ! Ça sent le pilon où je ne m’y connais pas. J’ai l’air de casser du sucre comme ça sur le dos de Max Milo, mais il faut tout de même leur reconnaitre une qualité inestimable : celle de toujours surprendre. Vous croyez qu’ils vous ont tout fait ? Qu’ils n’ont plus aucun tour dans leur sac ? Que nenni ! Ils en ont toujours un en réserve auquel vous n’avez pas pensé.

Voilà, nous avons bien ri ; mais à présent, il faudrait peut-être songer à tirer une morale de cette histoire. S’il y en avait une, ce serait que, justement, il n’y a pas de morale. Les auteurs se font flouer dans la plus parfaite légalité par certains éditeurs. « Visiblement, ils ne sont jamais inquiétés », commentait ce prestataire. Par contre, je risque d’être inquiétée suite à ce billet : il est parfaitement illégal de citer des emails. Peine encourue : un an d’emprisonnement et 45000 € d’amende, c’est écrit . Cependant je ne vois pas bien comment j’aurais pu paraphraser cet inimitable mélange de condescendance et de mépris. Dans le même temps, il est parfaitement légal, en insérant une ligne dans le contrat que l’on ne remarque que trop tard, en déduisant des frais de mise en page du relevé de droits, en s’abritant derrière un redressement judicaire ou une faillite, de ne pas payer ses auteurs. Tout comme il est parfaitement légal d’user d’un langage irrespectueux en s’adressant à eux. Quand je dis « eux », je généralise peut-être hâtivement. Le fait que je sois sans statut (ni médecin, ni chercheur réputé, ni grand professeur), fraichement débarquée de mes lagons et en conséquence d’une naïveté de provinciale à couper au couteau, et femme par dessus le marché, à certainement joué un rôle dans ce manque de respect. Il n’en est pas moins inexcusable. Et pour rajouter l’injure à l’insulte, voir s’envoler, sous prétexte de redressement judiciaire, tout espoir de toucher un jour ses droits, well, that’s enough. Le temps était venu du grand déballage, et si l’illégalité est tout ce qu’il reste, illégal il sera. « Silence like a cancer grows » nous prévenaient déjà Simon et Garfunkel en 1966. « Votre silence ne vous protègera pas », reprenait Audre Lorde dans ses Cancer Journals en 1980. Dénoncer d’un côté (Octobre rose) et se taire de l’autre (les coulisses de l’édition) aurait été incohérent. A partir de maintenant, le public sera tenu au courant de la suite de ce passionnant feuilleton, si suite il y a.

Mais ne généralisons pas : il existe des éditeurs honnêtes et passionnés par leur métier. J’en ai rencontré un, mais trop tard. Le fait est que les pratiques de certains éditeurs nuisent à toute la profession et il est dommage qu’ils ne fassent pas le ménage dans leurs rangs, car ces pratiques semblent tout de même assez courantes. Quand j’évoquais autour de moi mes difficultés à me faire régler mes droits d’auteur, très souvent, plutôt que de se révolter, on me citait un cas similaire.

On s’était ainsi habitué à un état de fait en soi inacceptable. Pour un peu, c’était moi qui étais naïve d’attendre après mes droits d’auteur et de rêver qu’un jour je pourrai vivre de ma plume. Elle ne nourrit pas son homme, dit-on. C’est écrit dans la pierre. Parfait. Ne changeons rien. Calquons donc notre vie sur un dicton et exerçons des jobs alimentaires en volant un peu de notre précieux temps de disponibilité mentale pour l’écriture, qui devient alors l’amante de 5 à 7 – quand ce n’est pas de 10 à 12-, celle qui passe après tout le reste. Pour nourrir son homme, sa femme, ou sa smala si famille il y a, il faut un métier, un vrai. Virtuellement tous les auteurs d’essais ont un boulot à côté : ils sont chercheurs, journalistes, enseignants, médecins, sociologues et j’en passe. Il devient plus facile d’accepter les pourcentages dérisoires accordés par les éditeurs, voire de ne pas être payé du tout. Et je ne leur jette pas la pierre, mais plutôt à une situation qui fait qu’il est extrêmement difficile de faire autrement.

On rétorque souvent, dès lors qu’on écrit pour défendre une cause, que la satisfaction de savoir que ladite cause progresse devrait suffire. On m’a déjà fait le coup. J’ai du cesser mon activité de caméraman sous-marin en Polynésie et quitter « mes » requins parce que l’on me demandait trop souvent de fournir à titre gracieux mes images d’ailerons coupés. J’en ai donné beaucoup, suis parvenue à me faire payer parfois. J’ai produit un documentaire sur mes fonds propres pour dénoncer le shark finning à l’époque où aucun équivalent du CNC[7] n’existait pour les réalisateurs locaux. Une loi est passée déclarant les requins « patrimoine national » de Polynésie française et interdisant leur pêche. Pour ma part, j’ai du quitter la Polynésie peu après pour raisons financières. Je ne regrette rien. Ces dix années passées à filmer les requins sur l’atoll de Rangiroa restent un moment fort de ma vie et j’ose croire qu’un peu moins d’ailerons finiront en soupe. Ce n’est pas rien. Cependant on aimerait qu’un jour prochain – suffisamment proche pour que l’on puisse se permettre de rêver sans dépérir tout à fait entretemps – les défenseurs de cause puissent jouir d’une alimentation un peu plus nourrissante que la seule satisfaction d’avoir fait leur BA.

Pourquoi auteur ne serait-il pas un métier comme un autre au même titre que garagiste ou boulanger ? « Tout travail mérite salaire » nous dit-on dans le même souffle que « La plume ne nourrit pas son homme ». Le travail d’écriture n’aurait-il donc aucune valeur reconnue? Il semble que si puisqu’à partir du moment où l’ouvrage est vendu en librairie et non proposé gratuitement c’est bien qu’il est estimé posséder une valeur marchande. Seul le travail de l’auteur n’en a pas semble-t-il, ou si peu. Quel auteur me contredira si j’affirme que les pourcentages dérisoires qui nous sont accordés ne reflèteront jamais la quantité de travail fourni ? Si nous devions être payés à l’heure, nous passerions allègrement à travers le plancher du SMIG. Mais ça c’est quand tout va bien, puisqu’il arrive que nous ne soyons pas payés du tout. Un peu embêtant à vrai dire quand on n’a rien à côté. C’était pourtant mon cas. J’ai vendu ma caméra, puis mis ma maison en vente mais un bien immobilier ne part pas comme un petit pain. Il y avait bien un diplôme de kiné qui trainait dans un coin, mais après treize ans d’inactivité professionnelle dans ce domaine, je ne me sentais pas la compétence suffisante pour reprendre. D’autant plus qu’à Moorea, mon dernier lieu d’exercice en libéral, je n’exerçais qu’à domicile, une kiné de brousse en quelque sorte, très riche en contacts humains. Comment se réadapter à une kiné beaucoup plus appareillée, telle qu’elle est pratiquée en France ? J’étais larguée de ce côté-là. Quant à trouver un travail de caméraman sous marin dans les Cévennes… Un peu avant la sortie de No Mammo ?, j’ai « exercé » en tant que travailleuse agricole pour la cueillette des pommes, puis pour le ramassage des châtaignes. Bons souvenirs. « Faire sa rangée » en binôme avec l’imam de la mosquée de Ganges – un pince-sans-rire comme on n’en fait plus – reste une expérience inoubliable. Le travail physique ne libère l’esprit que dans une certaine mesure. Passé un certain cap, il vous abrutit. Lorsque j’ai écrit à une lanceuse d’alerte britannique qu’« en ce moment, j’étais un peu occupée parce que je ramassais des châtaignes », elle m’a répondu qu’elle aussi adorait se balader en forêt pour prendre l’air. Je n’ai pas eu le cœur de la détromper.

Quelques mois après la publication de No Mammo ?, j’ai débuté une activité de journaliste freelance. Cependant, et on l’aura deviné, le format court ne me correspond guère : il m’est impossible de doser mon travail d’investigation sur le nombre de pages. Même si j’ai beaucoup appris, j’eus vite l’impression de me disperser à travailler sur des sujets de commande, intéressants certes, mais qui m’éloignaient de ce que je voulais réellement faire. J’ai cessé cette activité dès que la vente de ma maison m’a permis de souffler financièrement.

Bien que n’ayant pas suivi le parcours type – certainement plus stable – de l’auteur d’essai classique, je m’estime immensément privilégiée. Je possédais un patrimoine – ma maison – que j’ai pu vendre. Je fais depuis du saute -maison. Cela consiste à naviguer entre différentes résidences secondaires d’amis en hiver au gré des disponibilités, et à partir l’étranger à l’approche de l’été lorsque toutes « mes » maisons sont occupées par leurs très légitimes propriétaires. Rien de foncièrement désagréable en soi même s’il m’arrive de pester parce que mes bouquins sont répartis dans quatre maisons et que celui dont j’ai besoin, là, tout de suite, n’est jamais avec moi. C’est un détail. Je pense surtout aux auteurs mort-nés. Aussi longtemps qu’auteur ne sera pas un métier comme un autre, l’écriture restera orpheline. Jamais nous ne connaîtrons l’opinion de ceux qui ne peuvent se permettre de prendre la plume car c’est un luxe de perdre son temps à une activité qui ne permet pas de vivre décemment. L’écriture n’est pas démocratique.

Merci d’avoir tenu jusque là. Si j’ai pris soin de ne citer aucun nom de personnes, c’est d’abord par charité – même si ces personnes n’ont pas été très charitables envers moi – et ensuite parce que ce sont des attitudes et un certain état de fait qu’il s’agissait d’exposer, pas des personnes. Cela nous amène à la question :

Pourquoi raconter son histoire et faire visiter les coulisses de No Mammo ?

1/ Pour dénoncer la banalité d’un état de fait. Même si la combinaison goujaterie-filouterie telle qu’on la retrouve chez Max Milo est peu courante, les auteurs qui galèrent pour se faire verser leurs droits sont légion.

2/ Pour casser l’image romantique de l’écriture (c’est « cool » et valorisant) et des auteurs (ils se font plein de fric) trop souvent en cours.

3/ Pour éviter à d’autres de se faire avoir. Si ce témoignage peut empêcher un seul auteur de tomber dans le panneau Milo ou autre, ce billet n’aura pas été inutile.

4/ Pour qu’un jour soit pris à bras le corps le problème du statut d’auteur.

5/ Et, last but not least,  pour expliquer à celles et ceux qui m’ont soutenue et suivie mon silence radio au plus fort d’Octobre rose. Je leur devais bien ça.



[1] Ce sera un texte avant de devenir un livre.

[2] Société Civile des Auteurs Multimédia, dont je suis membre.

[3] Elle sera publiée sur son site expurgée de toute allusion à No Mammo ? sous le titre « Malaise dans la civilisation » http://www.rolandsimion.org/spip.php?article219&lang=fr

[4] Association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes. http://www.formindep.org

[5] Belle formule en page d’accueil de Fuckmycancer, le blog de Mwyler

[6] Dr Claudina Michal Teteilbaum, co-auteur avec Virginie Belle de Faut-il faire vacciner son enfant ?

[7] CNC : Centre National du Cinéma et de l’image animée. Organisme qui aide financièrement les auteurs et producteurs de documentaires.

 

Cet article Les coulisses de No Mammo ou comment (presque) dégouter un auteur est apparu en premier sur Expertise citoyenne.


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